Traduire le monde au festival Vo-Vf

Il a lieu à Gif-sur-Yvette chaque premier week-end d’octobre, est dédié à la littérature étrangère et au travail des traductrices et traducteurs qui la font rayonner, et cette année, il a fêté ses 10 ans. J’ai nommé le festival Vo-Vf, traduire le monde, où j’ai passé deux jours exaltants le week-end dernier. Tables rondes et entretiens réunissant auteurs, traducteurs et autres acteurs du monde de l’édition, retrouvailles avec mes camarades de l’École de Traduction Littéraire (ETL) et nouvelles rencontres… Si je devais le résumer en deux mots, je dirais sans hésiter culture et convivialité.

Retour sur mon expérience du festival Vo-Vf 2022.

 

« Vo-Vf, traduire le monde est la seule manifestation culturelle à proposer un rendez-vous annuel présentant la littérature mondiale sous un angle inédit en donnant la parole aux traducteurs, véritables voix du monde. »

https://www.festivalvo-vf.com/presentation/

 

À environ une heure de RER de Paris, Gif-sur-Yvette n’est pas le lieu le plus accessible pour les personnes venues de loin, mais il faut avouer que le décor est enchanteur, avec ses petites rues pavées, ses parcs et ses cafés où se retrouver entre deux conférences. Le tout saupoudré d’une ambiance chaleureuse qui donnerait presque envie de ne plus repartir.

Arrivée à Paris dès vendredi, j’ai pu profiter pleinement des événements en étant sur place dès le matin aussi bien samedi que dimanche. Afin de ne rien rater, je m’étais préparé un programme à l’avance et j’ai presque réussi à le suivre entièrement. Même si, pour ce qui est de ne rien rater, les choses n’étaient pas si simples : le choix était parfois difficile entre deux événements ayant lieu au même moment. D’un autre côté, j’ai eu droit à de belles surprises en allant voir des entretiens qui ne figuraient pas sur ma liste.

Voici un petit florilège des rencontres et des mots qui ont rythmé mon week-end :

— Yves Gauthier, traducteur du russe, parlant du roman de Vladimir Arseniev, Dersou Ouzala, et des difficultés rencontrées lors de sa traduction ;

« Ne me dites pas que la lune brille ; montrez-moi la lueur de la lumière sur le verre brisé. » Anton Tchekhov cité par Yves Gauthier

 

— Sophie Aslanides, présidente de l’Association des Traducteurs Littéraires de France (ATLF), interrogeant Laure Hinckel, traductrice du roumain, Sika Fakambi, traductrice de l’anglais, et Aurélie Bontout-Roche, responsable des traductions du groupe Libella, au sujet des rencontres qui jalonnent chaque projet et de la passion à l’origine de tout, bien qu’elle soit parfois bousculée par la réalité et les pressions extérieures relatives au temps et à l’argent ;

« Il se passe toujours une rencontre réelle, avec l’auteur, ou métaphysique, avec le texte. Même quand le texte est proposé par l’éditeur, il se passe quelque chose. » Sika Fakambi

 

— Dimitri Bortnikov et Julie Bouvard relatant la manière dont l’auteur a donné carte blanche à sa traductrice pour la transposition en français de ses romans écrits en russe et discutant des carcans dans lesquels on s’enferme ou des libertés que l’on se permet selon que l’on écrit dans sa langue maternelle ou dans une langue étrangère ;

« Le roman russe était un squelette et Julie a eu carte blanche pour en créer la chair avec le texte français. » Dimitri Bortnikov au sujet de la traduction de son roman Purgatoire

« C’est merveilleux pour le français que des auteurs étrangers écrivent dans cette langue, la malmènent, en fassent autre chose parce qu’ils ne sont pas bloqués dans son carcan. » Julie Bouvard

 

— Corinna Gepner, traductrice de l’allemand, abordant les défis posés par la science lorsque celle-ci se glisse dans des textes littéraires, comme dans le livre de Heino Falcke sur les trous noirs, Lumière dans l’obscurité ;

« Il ne suffit pas de trouver le bon terme, mais de savoir l’utiliser pour que la syntaxe fasse sens pour la communauté scientifique. » Corinna Gepner

 

— Olivier Mannoni, traducteur de l’allemand et traducteur à l’honneur de cette édition du festival, expliquant devant une salle comble les enjeux de la retraduction de Mein Kampf, d’Adolf Hitler, et le pouvoir que peuvent avoir les langues.

« Traduire Mein Kampf, c’est ouvrir des portes insoupçonnées. Jamais, dans aucun texte avant ce livre, je n’avais été confronté avec une telle densité et une telle violence à l’expression de la haine. » Olivier Mannoni

 

Pour ce qui est des événements auxquels il a fallu renoncer par impossibilité d’être partout – pour ma part, un atelier d’initiation à l’ukrainien, les légendaires jeux de l’ETL (auxquels j’ai participé l’année dernière) ou encore la joute de traduction sur Woody Allen –, heureusement, les copines de l’ETL étaient là nombreuses et nous avons pu nous faire des comptes-rendus mutuels des séances « ratées ».

 

« Souvent d’une grande érudition, généreux de leurs connaissances et heureux de rencontrer leurs lecteurs, [les traducteurs] sont les garants de rencontres de qualité. »

https://www.festivalvo-vf.com/presentation/

 

Cela ne vaut d’ailleurs pas que pour les traducteurs. Je me suis attardée à la fin de la plupart des événements auxquels j’ai assisté afin d’échanger quelques mots avec les intervenant(e)s, j’ai abordé des gens par-ci par-là (c’est pour dire à quel point l’ambiance était bienveillante, car ça n’est vraiment pas mon point fort…), et ai été abordée par d’autres, bref, ma visite a été ponctuée d’une myriade de rencontres aussi agréables qu’instructives.

Ce sentiment de convivialité a été d’autant plus renforcé cette année qu’un autre événement avait lieu : les 10 ans de l’École de Traduction Littéraire, célébrés officiellement le samedi soir autour d’un apéritif puis d’un dîner-concert brésilien rassemblant toutes les promotions qui se sont succédées sur les bancs eutéliens. Les festivités ont mis un peu de temps à démarrer, les différentes promos de l’ETL restant au début plus ou moins groupées entre elles. Finalement, tout le monde s’est rassemblé pour une photo de groupe puis dirigé lentement vers l’intérieur pour le fameux apéritif. De nombreux intervenants à la formation étaient eux aussi présents. Cette soirée a été une belle occasion de rencontrer les eutélien(ne)s des autres promotions, dont on connaissait parfois déjà le nom pour l’avoir lu dans la presse ou entendu dans la bouche du directeur de l’école, Olivier Mannoni (oui, encore lui ;)), ou avec qui l’on avait déjà échangé par mail ou par téléphone sans s’être jamais rencontrés. Les discussions ont par moment été rendues difficiles par le volume de la musique, mais après le repas, ça n’était plus si important : tout le monde préférait se déhancher sur les rythmes enjoués du groupe Zalinde Samb’aya.

 

Je suis repartie du festival Vo-Vf le dimanche soir, plus riche de tous ces échanges, toutes ces rencontres et découvertes, littéraires et autres, avec dans mes bagages une curiosité attisée par quantité de sujets à approfondir, un grand souffle d’énergie positive et un amour renouvelé (s’il en était besoin) pour mon métier.

On s’y retrouve l’année prochaine ?