L’Aventure eutélienne

Le mois dernier, la promotion 2022 de l’École de Traduction Littéraire assistait à ses premiers ateliers. Impossible pour moi de ne pas y penser avec une pointe de nostalgie et, je l’avoue, de jalousie. Il y a un an, c’était nous, la promotion 2021, qui prenions place sur les bancs de l’ETL pour une année intense à de nombreux niveaux. Samedi dernier, j’ai eu le plaisir de retrouver l’ETL pour quelques heures, le temps d’une rencontre passionnante avec la fondatrice de la maison d’édition Les Argonautes, Katharina Loix Van Hooff. Je profite de cette occasion pour enfin terminer de rédiger cet article que je souhaite publier depuis plusieurs semaines déjà.

Comme certains dressent le bilan de l’année qui vient de s’écouler et se fixent des objectifs pour celle à venir, je vous parle ici de ce que j’ai vécu et de ce que j’espère en tirer pour le futur.

 

1.       Le bilan

 

a)       Les ateliers de traduction

Menés par des traducteurs chevronnés venus chacun nous parler d’un thème précis, qu’il s’agisse de poésie, de théâtre, de littérature jeunesse ou de l’imaginaire, des difficultés liées à l’humour, au dialogue ou aux dialectes, de la traduction des onomatopées ou des spécificités du sous-titrage et du sur-titrage, les ateliers de traduction ont souvent pris l’allure de brainstormings géants ou de discussions sur ce qu’est la traduction et sur la manière de la pratiquer.

En plus de nous faire travailler sur des textes, ces traducteurs ont partagé avec nous leurs expériences, leur parcours, leur vision de la traduction littéraire. J’ai trouvé passionnant de voir que tous avaient une conception différente des choses. En plus d’être fascinant, cela représentait pour nous, ou pour moi en tout cas, une incitation à la réflexion afin de me faire ma propre idée de mon métier et de la façon dont je souhaite l’exercer. Cela nous a permis d’aborder de nombreux sujets délicats tels que la célèbre question de la fidélité au texte source (Que signifie « fidélité » ? Faut-il privilégier la forme, l’intention, le contenu ? Vaut-il mieux produire un texte en français avec des aspérités dues au texte source ou un texte en français parfaitement fluide et lissé ? etc.)

Ces partages d’expériences ont en outre souvent été une réelle source d’inspiration et parfois de réconfort, car ces traducteurs ont eux aussi pu rencontrer des difficultés au démarrage ou ont connu/connaissent encore des déboires auxquels nous-mêmes sommes confrontés.

S’ils abordaient avec nous des sujets précis, nos intervenants avaient également des langues de travail différentes. Malayalam, islandais, portugais, hébreux… autant de langues qui ont servi de base aux ateliers de traduction. Le fait que chaque atelier repose sur des textes de la langue source de l’intervenant – tout comme le fait que les membres de la promotion eux-mêmes traduisent depuis ou vers des langues variées – est pour moi l’un des points forts de la formation car c’est une ouverture incroyable sur tout autant de mondes inconnus. Combien de fois suis-je ressortie d’un atelier avec l’envie d’apprendre la langue du jour, d’en découvrir plus sur ses cultures et ses littératures ! Je ne me suis finalement peut-être pas (encore) lancée dans l’apprentissage d’une nouvelle langue, mais je me suis néanmoins sérieusement remise au russe, que j’apprends depuis plusieurs années et que je rêve de pouvoir traduire un jour. Et j’ai clairement élargi mes horizons littéraires, pour mon plus grand plaisir.

 

b)      Les ateliers autour de la traduction

Ces ateliers et rencontres avec des professionnels de toute la chaîne du livre étaient non seulement passionnants en soi, mais surtout, très utiles, je dirais même indispensables à la pratique du métier de traducteur littéraire. Le statut du traducteur littéraire, sa place dans cette grande chaîne éditoriale, les questions de fiscalité, les combats qu’il doit mener pour lui-même, mais aussi pour tous ses collègues actuels et futurs… Être traducteur littéraire, ce n’est pas seulement traduire (malheureusement). Grâce à l’ETL, je connais désormais les étapes de fabrication d’un livre et de sa mise sur le marché, je sais avec plus de certitude ce que les éditeurs attendent de moi (même si chaque maison d’édition à sa propre façon de travailler), je sais ce qui doit et ne doit pas figurer dans un contrat de traduction, quels tarifs sont acceptables et lesquels ne le sont pas, où trouver les ressources nécessaires au quotidien ou de l’aide en cas de besoin, et bien plus encore.

Certaines rencontres nous ont également fait prendre conscience de la chance que nous avons en France. Grâce à toutes les personnes qui se sont battues avant nous, nous bénéficions de nombreuses aides et de conditions (très) privilégiées par rapport à la plupart de nos collègues internationaux. J’en ai eu confirmation par mes rencontres avec des traducteurs et traductrices des quatre coins du monde lors du programme FIT à Francfort en octobre dernier. Le directeur de l’ETL, Olivier Mannoni, l’a souligné tout au long de la formation et  les rencontres avec Paola Appelius, ancienne présidente de l’Association des Traducteurs Littéraires de France (ATLF), qui est venue nous voir deux fois, et avec une représentante du Centre National du Livre (CNL) nous l’ont également démontré. Cela ne signifie pas pour autant que tout soit gagné. Il reste encore beaucoup à faire pour les traducteurs et traductrices littéraires, qu’il s’agisse de conditions, de tarifs ou encore de reconnaissance. Et c’est pourquoi il est nécessaire pour chacun d’entre nous de négocier correctement ses contrats et ses prix, car il en va de toute la profession. (Voilà pour la parenthèse militante 😉).

En parallèle, nous avons rencontré des éditrices et éditeurs tenant des rôles différents au sein de maisons d’éditions variées : petites et grandes, bien établies ou encore toutes jeunes, indépendantes, engagées, spécialisées dans la jeunesse, dans les sciences sociales, etc. ainsi que des représentants des divers maillons de la chaîne éditoriale : diffuseur, attachée de presse, libraire, etc. Tout cela nous a offert un vaste panorama du monde du livre, vu de l’intérieur. Et certaines rencontres ont été plus que fructueuses, puisque c’est grâce à l’une d’elles que ma collègue Gaëlle Cogan et moi avons traduit un très beau livre sur les dessins de Franz Kafka  !

 

2.       Objectifs 2022

 

L’année 2022 a déjà bien commencé et quelques projets littéraires ont pris ou sont en train de prendre forme, tous grâce à des rencontres faites à l’ETL. Je n’ai cependant pas l’intention d’attendre gentiment que les contrats tombent du ciel (ça ne marche pas comme ça de toute façon). Alors qu’est-ce que je compte faire maintenant que mon aventure eutélienne est terminée ? En une phrase je dirais : mettre en œuvre tout ce que j’ai appris afin de trouver de nouveaux projets et ne plus jamais rien traduire d’autre que des romans et des beaux livres sur l’art et les voyages.

En un peu plus détaillé, j’ajouterais que je souhaite continuer de progresser dans mon métier. Pour cela, je pense que ma formation à l’ETL est aussi à considérer comme une impulsion, un tremplin, et que je dois maintenant rester dans le mouvement en continuant de m’interroger, de réfléchir à ma pratique de la traduction ou en revenant sur les ateliers que nous avons eus pour les approfondir. En bref, je souhaite continuer de me cultiver et de cultiver cette effervescence culturelle et littéraire mise en marche durant cette année de formation.

Même si la traduction est une activité souvent solitaire, le dialogue est primordial. C’est souvent de lui que naissent les meilleures formulations (ou les plus loufoques aussi). J’espère donc garder le contact avec mes collègues de la promotion 2021, M. Mannoni inclus. J’espère, et je pense, que nous continuerons de nous concerter, de nous entraider, de partager entre nous nos réussites et nos difficultés, de râler après les Rasmussen de ce monde (désolée pour tous ceux qui ne savent pas ce qu’est un Rasmussen, mais l’ETL, c’est aussi ça : un langage qui lui est propre !) et si possible de nous voir.

Et j’aimerais aussi assister à quelques ateliers supplémentaires à l’ETL (comme samedi dernier !) pour continuer d’attiser la flamme et retrouver le bonheur que cela procure 😉

Voilà, voilà, il n’y a plus qu’à !