La traduction littéraire est-elle un métier créatif ?

Aujourd’hui, j’avais envie de parler un peu de la créativité en traduction littéraire. Certains la reprochent au traducteur, d’autres la trouvent souhaitable. Ce qui m’a fait me pencher sur le sujet, c’est l’opposition que l’on fait souvent entre l’écrivain ou le romancier et le traducteur littéraire. On reconnait au premier la capacité de créer une histoire de toutes pièces et de la raconter en ses propres termes, tandis qu’on accuse le second de ne faire que la retranscrire dans une autre langue. Cette opposition se joue donc sur le terrain de la créativité, peut-être pas entièrement, mais en tout cas, beaucoup. Alors, la traduction littéraire a-t-elle droit à sa part de créativité ? En me basant sur mes modestes expériences en tant que traductrice et auteure, mais aussi en tant que lectrice, je me suis lancée dans ma propre petite analyse, afin de répondre à ces questions : Écrivain et traducteur littéraire sont-ils si différents ?  La traduction littéraire est-elle un processus créatif ? Le traducteur est-il un traître ?

Écrivain et traducteur littéraire sont-ils si différents ? 

Quand il travaille, que fait un écrivain ? Facile. Il écrit. Mais que fait un traducteur littéraire ? Il traduit, certes, mais en quoi consiste la traduction exactement ? La traduction a pour but de retranscrire dans une langue ce qu’un auteur a écrit dans une autre langue. Elle nécessite donc la maîtrise de ces deux langues, les connaissances culturelles qui les accompagnent et… la capacité d’écrire. Car oui, la traduction est bien une forme d’écriture et le traducteur la pratique à longueur de journée. Comme l’écrivain, il doit savoir manier les mots, la grammaire et la syntaxe de sa langue cible (celle dans laquelle il traduit). Il doit réussir à jouer avec l’ensemble pour produire un texte que les lecteurs auront envie de lire. 

Quand on entend le mot « écrivain », on pense tout de suite au romancier qui va créer de toutes pièces un récit sorti de son imagination. Mais il y a en fait toutes sortes d’écrivains et toutes sortes d’écritures. Étymologiquement, « écrivain » vient du latin scriba, le scribe. À l’origine, le scribe mettait par écrit ce qu’on lui dictait ou officiait en tant que copiste.  L’idée de création de ses propres textes n’était pas du tout présente. Ce n’est qu’au Moyen Âge que le sens du mot écrivain se modifia, pour inclure cette spécificité. Il y a d’ailleurs de nombreux écrivains qui n’inventent pas eux-mêmes les histoires qu’ils racontent. C’est le cas des auteurs de biographies et d’œuvres relatant des faits réels par exemple. Le rôle de l’écrivain ne sera alors pas d’inventer des histoires originales, mais de savoir les raconter.

Pour moi, c’est finalement cette capacité qui est la plus importante, car ce n’est pas tout d’avoir des idées à transmettre (les siennes ou celles d’autres personnes), il faut aussi être en mesure de les communiquer de manière claire et agréable à lire. Et le traducteur tout autant que le romancier ou l’écrivain a besoin de cette capacité.  

J’en profite aussi pour souligner que de nombreux traducteurs littéraires sont aussi écrivains ou vice versa. Je dirais donc que les activités de l’écrivain et du traducteur littéraire sont apparentées et que les deux ont plus de points communs que certains pourraient le croire.

La traduction littéraire : un processus créatif ?

Dans son roman Profession romancier, Haruki Murakami explique qu’il considère son activité de traducteur littéraire comme quelque chose de très technique, par opposition à ce qu’il fait lorsqu’il écrit un roman. J’ai été très surprise en lisant cette remarque car ce n’est pour ma part pas du tout ce que je ressens lorsque je traduis un roman.

Il n’y a pas toujours d’équivalent entre les deux langues en jeu dans une traduction. J’en ai brièvement parlé dans mon article Le Fernweh, ou ces mots intraduisibles : certains mots existent dans une langue mais pas dans une autre. Plus que les mots, se sont aussi les expressions, les concepts ou encore les constructions grammaticales ou syntaxiques qui peuvent ne pas avoir d’équivalent direct d’une langue à l’autre. Sans parler de la culture et de l’histoire, qui peuvent largement différer, que ce soit dans les faits ou dans la perception que les gens en ont.

J’ai eu par exemple plusieurs fois à traduire des textes comportant des blagues ou des jeux de mots. Une blague fait très souvent appel à des références culturelles. Si celles-ci ne sont pas connues par les locuteurs de la langue cible, le traducteur sera obligé de rechercher un équivalent culturel, ou du moins, quelque chose s’en rapprochant le plus possible. Pour les jeux de mots, c’est la même chose, avec en plus le plan lexical à prendre en compte. Dans ce genre de cas, la créativité du traducteur est fortement mise à contribution, pour trouver des mots se prêtant au jeu de la manière la plus proche possible de celle du texte source. Bien sûr, cela n’est pas toujours possible. Dans ces cas-là, le traducteur doit parfois décider de laisser complètement tomber le jeu de mot ou d’essayer de rendre l’humour de la scène par un autre moyen. Tout cela dépend du contexte dans lequel sont utilisés ces types de textes. Quoi qu’il en soit, pour moi, cette recherche d’équivalents appartient au processus créatif car elle demande souvent de l’imagination.

Pour moi aussi, un autre fait indiquant la présence d’un processus créatif dans le domaine de la traduction littéraire est qu’il n’y aura jamais deux traductions identiques d’un même texte.

Dans une traduction technique, les termes ont des équivalents bien précis, il n’y a généralement pas de place pour la fioriture. C’est plus « mathématique ». Alors qu’en traduction littéraire, il y a une grande part de sensibilité. Celle de l’auteur, mais aussi celle du lecteur et donc, du traducteur. Une certaine émotion pourra être retranscrite en un seul mot dans une langue, mais aura besoin de toute une phrase dans une autre. Jongler, trouver l’équilibre entre la fidélité au texte source et la création d’un texte agréable à lire en langue cible est tout un art.

Le traducteur est-il un traître ?

Si l’on part du principe que la traduction littéraire demande une certaine dose d’inventivité, se pose alors la question de la trahison.

Selon l’expression italienne Traduttore, traditore, « traduire, c’est trahir ».

Il est vrai, comme nous l’avons vu, que le traducteur ne peut pas toujours rendre exactement les même détails ou sentiments que l’œuvre originale. Il est également avant tout un lecteur. Comme tout autre lecteur, il interprète à sa manière ce qu’il lit, en fonction des propres expériences, de son vécu, de ses sensibilités. Dans sa traduction, il doit faire en sorte de se rapprocher le plus possible de la pensée de l’auteur, parfois sans avoir la possibilité d’interroger celui-ci sur les passages qu’il trouve délicats. Et le fait qu’il existe autant de traductions possibles que de traducteurs prouve que le style du traducteur se retrouvera toujours d’une certaine manière dans son travail. Même si un bon traducteur sait s’effacer au mieux derrière l’auteur, il ne pourra jamais dissimuler complétement son propre style car la traduction est toute une question de choix linguistiques sujets à l’interprétation, à la subjectivité.

Malgré tout cela, je ne crois pas que l’on puisse parler de trahison, mais juste de la réalité d’une impossibilité. Je pense sincèrement qu’aucun traducteur n’a pour but de trahir l’auteur qu’il traduit. Au contraire, il a à cœur de rendre accessible à un public de langue différente l’œuvre sur laquelle il travaille. Il est donc important pour lui de réussir à transmettre au mieux le message de l’auteur et les émotions que son texte véhicule. Encore une fois, on en revient à cet équilibre que le traducteur doit trouver pour rester le plus fidèle possible à l’auteur tout en présentant au lecteur un texte plaisant à la lecture.

Conclusion

Pour moi, il n’y a pas de doute, la traduction littéraire est un processus créatif puisqu’elle doit chercher des solutions inventives à des problèmes d’équivalences entre les langues et les cultures. Et comme son travail consiste en majeur partie à écrire, le traducteur n’est à mon sens pas moins un écrivain que le romancier.  

J’ai envie de finir par une comparaison : reproche-t-on à l’acteur de trahir l’auteur du script ? On le voit plutôt comme l’interprète d’une œuvre, celui qui lui donne vie. Pourquoi ne voit-on pas le traducteur de la même manière, comme celui qui donne vie dans sa langue à une œuvre que ses lecteurs ne pourraient pas découvrir sans lui ? Comme celui qui bâtit des ponts entre les gens et entre les cultures ? Cela ne mérite-t-il pas un peu de créativité ?