Retour au Kazakhstan

Ce qui au départ était une route, en mauvais état, certes, mais asphaltée, se transforme rapidement en chemin de terre pour finir par se perdre complétement à travers la prairie. Du moins à nos yeux. Youri et Vassia, eux, ne semblent pas s’en formaliser. Ils essayent juste d’éviter les crevasses. Par la fenêtre, la steppe s’étend à perte de vue. Je n’ai encore jamais vu d’horizon aussi lointain, de paysages aussi vastes. Les herbes jaunies par le soleil sont immobiles, il n’y a pas un souffle de vent. La chaleur se réverbère sur le capot du pick-up bleu marine de Youri. Tout à coup, Maroussia pointe quelque chose de son doigt de petite fille. Là, une sorte de grosse marmotte se dore au soleil. Une autre se faufile dans un trou à notre passage.

Enfin le village apparaît, tel un mirage dans le désert. Des maisons basses, des barrières de bois délimitant des enclos vides de chevaux. On nous explique que les nomades ne sont pas là en cette saison. Le premier arrêt est pour le cimetière. Nous n’avons encore rien vu d’autre que quelques maisons et chemins pierreux, mais comme à Ereïmentaou, on veut nous montrer les tombes des ancêtres de Génia. Comme elles sont bien entretenues malgré l’absence de toute famille. Une promesse faite à ceux qui partaient par ceux qui restaient.

Le cimetière est broussailleux, les tombes entourées de petites barrières métalliques blanches, bleues, couleur rouille, les pierres ornées de portraits. Maroussia gambade entre les arbrisseaux. L’endroit me plaît.  

Nous partons ensuite à la recherche de la maison d’amis de la famille de Génia. Youri et Vassia ne les connaissent pas. Ils ne connaissent d’ailleurs pas très bien le village non plus, ils n’y sont pas venus souvent. Nous finissons par trouver. Vassia s’excuse d’arriver à l’improviste, nous avons essayé d’appeler mais en vain, il explique qui nous sommes. On nous fait entrer, on nous attendait ! Pas aujourd’hui spécifiquement, mais dans les jours qui viennent. On s’extasie, on se donne l’accolade. Nous offrons les cadeaux que nous avons apportés comme le veux la tradition.

Comme nous prenons tout de même nos hôtes un peu au dépourvu, il est décidé de laisser Milana cuisiner tandis que son mari, Nicolaï, nous fait visiter le village. Nous reprenons la voiture. Les distances sont courtes pourtant. Nous demandons à marcher, mais l’idée n’éveille pas grand enthousiasme. Il y a beaucoup à nous montrer, nous n’avons pas le temps de flâner.

Les rues sont désertes, beaucoup de maisons abandonnées. Après la chute du bloc soviétique, plus de la moitié des habitants du village, des Allemands de Russie pour la plupart, ont quitté le Kazakhstan. Vingt ans plus tard, personne ne les a remplacés.

L’ancienne maison de mon compagnon est habitée par un vieux couple. Celui-là même qui l’a rachetée à ses parents. Nicolaï frappe à la porte, nous présente, demande si nous pouvons entrer. Bien sûr. On nous fait faire le tour. Certains meubles sont encore ceux d’autrefois. Les souvenirs remontent. Génia me montre son ancienne chambre, et dehors, là où il courait derrière les oies.

Nous allons ensuite jusqu’à la maison de ses grands-parents. Celle-ci n’est plus habitée depuis longtemps et est tombée en ruine. Les murs blancs sont décrépis, le toit s’affaisse, la cour est envahie d’herbes folles. Pourtant, je la reconnais, cette maison que j’ai vue si souvent en photo. Les volets sont même toujours un peu bleus.

Nicolaï nous fait visiter l’école, où Génia a été scolarisé pour quelques mois seulement. Puis nous retournons à la maison.

À la table du déjeuner, couverte de légumes marinés, de viande, de crudités et de fruits du jardin et de yaourt fait maison, nous sommes entourés de visages radieux. Comme à Ereïmentaou, nos hôtes n’ont encore jamais rencontré de française, ni même d’étrangère tout court. Alors en avoir une dans leur salle à manger, c’est un évènement ! Ils me demandent de prononcer quelques mots dans ma langue et m’interrogent. Mais ce n’est évidemment pas ma présence que nous célébrons aujourd’hui. Ce sont les retrouvailles, à travers Génia, d’amis d’antan qui, malgré la distance, ont réussi à garder le contact, aussi infime soit-il. On échange des anecdotes, on nous raconte des souvenirs, on nous parle de plein de gens dont on connait vaguement le nom, on nous pose maintes questions sur la vie en Allemagne (et en France).

Vassia se lève et tient son verre de cognac (du géorgien) bien haut. C’est lui qui ouvre la ronde des toasts. Chacun en donnera un. C’est la tradition. Je ne comprends pas la moitié de ce qu’il dit, mon russe est encore trop hésitant, mais l’émotion m’emplit toute entière.