Cartographie d’un voyage en Arménie

Ce qui me reste de l’aéroport de Zvarnots, c’est l’inconfort de l’inconnu, les quelques mots que j’ai appris bloqués dans ma gorge et le regard du chauffeur de taxi qui nous jauge de son œil expert avant de nous annoncer un prix.

Ce qui me reste de la Cascade, ce sont ses centaines de marches, nous en train de prendre des poses identiques à celles des sculptures, et le changement de lumière, passant de l’orangé des lampadaires dans le noir de la nuit à la lueur pâle et brumeuse du petit matin.

Ce qui me reste d’Erevan, c’est la surprise légère mais honteuse de découvrir une ville et une vie plus modernes et occidentales que je ne les avais imaginées ; ce sont les bâtiments de pierre rose dont j’avais entendu parler auparavant, les longues balades sous le soleil brûlant et le régal des papilles à chaque repas.

Ce qui me reste des trajets en marchroutka, c’est la gentillesse des gens qui se sont enquis de nous, de notre destination, de savoir si nous avions besoin d’aide ; qui ont partagé avec nous leurs fruits, leurs noix et leurs sourires.

Ce qui me reste de Geghard, c’est la beauté fraîche et humide de ces murs taillés à même la roche et la sérénité émanant de la pierre, de la végétation nous prodiguant son ombre et de ce petit ruisseau courant au milieu du monastère dans le chant d’Arméniennes en robes noir et or.

Ce qui me reste de Khor Virap, c’est la vue imprenable sur le mont Ararat, de l’autre côté de la frontière, et le sentiment d’injustice qui m’a alors serré le cœur, comme si c’était à moi qu’on avait dérobé cette montagne.

Ce qui me reste d’Etchmiadzine, c’est la déception d’avoir trouvé ce lieu envers lequel j’avais nourri tant d’attentes si différent de celui que j’avais construit dans mon esprit.

Ce qui me reste d’Alaverdi, c’est le téléphérique branlant dans lequel j’ai cru mourir et la vue imprenable depuis sa cabine ; c’est la procession funéraire qui nous a surpris au monastère de Sanahin, le défunt dans son cercueil visible aux yeux de tous et les plaintes des femmes à déchirer le cœur.

Ce qui me reste du lac Sevan, c’est le regret de ne pas avoir pu nous y arrêter plus de quelques minutes.

Ce qui me reste de Tatev, ce sont des rêves pleins la tête et la légende de jeunes filles à qui il poussa des ailes.

Ce qui me reste de l’Arménie, c’est la sensation de revenir sur mes terres alors que je n’y ai jamais mis les pieds avant, la sensation d’être liée à ce pays qui a de commun avec mon histoire familiale le nom, la cuisine et la culture, mais pas les lieux en eux-mêmes.

Texte rédigé dans le cadre de l’atelier d’écriture « Mémoire des lieux » animé par Morgane Az.