Ermites dans la taïga, Vassili Peskov

Ermites dans la taïga, c’est un récit documentaire sur une famille d’orthodoxes vieux-croyants, les Lykov, qui ont vécu complétement isolés du monde pendant plus de quarante ans. Le livre retrace la quinzaine d’années qui ont suivi la découverte des Lykov en 1978.

Vassili Peskov, reporter pour le journal russe Komsomolskaïa Pravda, fut contacté en 1982 par un chercheur tenant à lui faire part d’une découverte pour le moins surprenante : une famille – le père et ses quatre enfants déjà adultes, la mère étant décédée – vivant au fin fond de la taïga, à 250 km de toute autre habitation. Précisons : à 250 km infranchissables à travers forêts et montagnes ! Aucune route, pas même un chemin ou une piste. Il y a bien quelques sentiers à moitié mangés par la taïga, mais même en les empruntant, le périple reste extrêmement difficile et périlleux, quand il est possible. En gros, l’ermitage des Lykov n’est accessible que par hélicoptère. C’est d’ailleurs ainsi qu’il fut découvert.

En 1978, une équipe de géologues décida d’installer une base dans la région, car des gisements ferrugineux y avaient été repérés par photographie aérienne. C’est là qu’eurent lieu les premiers contacts entre les Lykov et d’autres hommes en plus de quarante ans.

Les Lykov sont des vieux-croyants, des personnes qui se sont détachées de l’Église orthodoxe russe à la suite notamment de la décision de Pierre le Grand de faire retraduire la bible et des réformes instaurées par le patriarche Nikon dans les années 1660. Le père Lykov, Karp, et sa femme, Akoulina, quittèrent la société des hommes, qu’ils nomment le « siècle », à la fin des années 1930. Ils avaient à l’époque deux enfants, Savvine et Natalia, et fuyaient leur village pour échapper aux persécutions liées à leur religion. Agafia et Dmitri naquirent à l’ermitage et ne connurent donc rien d’autre que l’isolation durant les quelques quarante premières années de leur vie.

Lorsque Vassili Peskov rencontra les Lykov, en 1982, il ne restait plus que Karp et Agafia. Savvine, Natalia et Dmitri étaient tous les trois décédés à quelques semaines d’intervalle l’année précédente.   

Dans son livre Ermites dans la taïga, Vassili Peskov nous raconte la rencontre des Lykov avec les hommes et avec le « siècle » après plus de 40 ans seuls dans la taïga.   

Ce qui m’a littéralement bluffée dans ce récit, c’est bien sûr la manière de vivre de cette famille. La dureté de leur vie, qui, dans un environnement aussi inhospitalier que la taïga, tient à mon avis plus de la survie. Car cette vie demande un travail constant, très physique (couper du bois, déblayer la neige, qui peut recouvrir la région jusqu’au mois de juin, entretenir le potager, etc.), mais aussi de grands sacrifices (rationner la nourriture quand il n’y en a pas assez, par exemple). Et puis, il y a la foi des Lykov. C’est cette foi inconditionnelle qui les a poussés à se retrancher toujours plus loin dans la taïga, jusqu’à ne plus avoir de contact avec quiconque. C’est aussi cette foi qui leur interdit nombre de choses que l’on ne pourrait s’imaginer vivre sans. Mais c’est elle qui les fait vivre.   

Je trouve l’aspect sociologique de ce récit également passionnant. Comment les Lykov ont, peu à peu, laissé le siècle faire quelques (petites) avancées dans leur vie en acceptant certains cadeaux apportés par les géologues ou par Vassili Peskov au nom de ses lecteurs, alors qu’ils les considéraient au début comme interdits (la phrase « ça nous est défendu » revient régulièrement sur leurs lèvres, un peu comme un mantra). Le caractère décidé, voire borné, de Karp et de sa fille Agafia quant à leurs croyances et à leur situation. L’exemple le plus flagrant étant leur refus de quitter leur ermitage isolé, même ne serait-ce que pour rejoindre celui de parents éloignés vivant selon les mêmes principes qu’eux. Pour cette raison, Agafia ne quitta jamais son coin de taïga, même après la mort de son père, en 1988.

Je pourrais vous citer encore mille détails, mais je ne veux pas vous réécrire le livre. Je me contenterai donc de vous dire, si vous ne l’avez pas deviné, que j’ai vraiment aimé cette lecture, principalement pour son contenu. Racontée sous forme d’un journal retraçant les souvenirs de Vassili Peskov sur ses visites à l’ermitage et les lettres échangées avec Agafia, l’histoire des Lykov m’a impressionnée, émue, mais elle m’a aussi poussée à la réflexion sur de nombreux sujets.

Ce livre m’a donné envie d’en savoir plus sur les Lykov et sur les vieux-croyants, et sur tout ce pan de l’histoire de la Russie. J’ai déjà commencé à me renseigner un peu sur ces thèmes. Je lirai aussi volontiers le deuxième livre de Vassili Peskov, Des Nouvelles d’Agafia, dédié comme son titre l’indique à Agafia et publié chez Actes Sud en 2009.

Auteur : Vassili Peskov

Traducteur 🇫🇷 : Yves Gauthier

Éditeur : Actes Sud